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film : Au loin s'en vont les nuages, de Aki
Kaurismaki, 1996
conférence/débat avec :
Pierre Contesenne
(membre de Droits Devant! ),
Philippe Labarde (membre du CSA, Journaliste, co-auteur de
Ah! Dieu que la guerre économique est jolie),
Alain Lebaube
(journaliste au Monde)
modérateur : Patrice Spadoni (cinéaste)
Philippe Labarde : On peut
commencer en disant qu'on vit quelque chose de relativement simple dans le
principe : on vit le capitalisme dans sa vérité, c'est-à-dire,
depuis une dizaine d'années, un capitalisme qui n'est plus régulé
ni encadré. Il ne s'agit pas de savoir si la période est
exceptionnelle ou non : elle n'est pas exceptionnelle ! Le
capitalisme, son fonctionnement, c'est cela ! C'est un système dont
on sait depuis longtemps qu'il sait produire efficacement, mais dont on sait
aussi qu'il ne sait pas répartir. Et ce que nous vivons depuis une
quinzaine d'années maintenant, c'est un capitalisme qui n'est plus borné.
Pourquoi ?
La première raison est que ce système s'est
modifié de l'intérieur, avec un phénomène qui est
passé relativement inaperçu : il y a eu inversion des taux d'intérêt,
et de ce fait l'argent est devenu cher. Et d'un seul coup ce sont les financiers
qui ont imposé les règles du jeu. Ils ont imposé les
rendements aux gens qui dirigent les entreprises, ce qui les a obligés à
des gains de productivité très importants. Et les variables
d'ajustement ont été le plus souvent l'emploi, et les salaires.
Le second événement a été ce qui
s'est passé en 1990 : l'effondrement de l'Est. L'Est a longtemps
représenté une espèce de borne. C'était un contre
modèle qui était son semblable à l'envers. Et cela freinait
un certain nombre de choses. Même si les gens savaient que l'Est n'était
pas le paradis du socialisme, cela engendrait une certaine retenue. Et la
seconde chose qui a été extrêmement importante, en tout cas
de mon point de vue, ça a été ce qu'on peut appeler en
France, l'effondrement, la grande défaite idéologique de 1982.
Pour ces deux raisons, on a aujourd'hui un capitalisme qui
vit sa vie, qui surprend, parce qu'on ne l'attendait pas ainsi, on en attendait
pas tant de sauvagerie. On avait oublié qu'il était comme cela,
parce qu'il avait été régulé après la seconde
guerre mondiale, par des accords importants. Il y avait eu la résistance,
il y avait eu la victoire des travaillistes en Angleterre, donc il était
encadré politiquement, syndicalement. Et les pays de l'Est jouaient aussi
ce rôle. C'est pourquoi, tout cela ayant sauté, je dis que nous
assistons à quelque chose de simple, le capitalisme dans sa réalité.
A partir de là, il y a deux attitudes. il y a ceux
qui pensent que ce système est quand même l'avenir du monde. Il y
en a ! Il y en a qui pensent que c'est la fin de l'histoire. Il y en a !
Il y en a qui pensent qu'il faut à tout prix s'adapter à ce
bidule, qu'il faut faire vite, et que plus on fera vite, mieux ce sera. Il y a
aussi une seconde catégorie de gens qui pensent qu'on peut discuter avec
les puissances industrielles et financières, sans changer le rapport de
forces.
Ce n'est pas mon point de vue ! Moi, je pense qu'ils ne
laisseront que les miettes et les os. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il
faut sans doute changer ce système. Ça prendra des années,
pour avoir une alternative, et dans l'immédiat, il faut essayer de résister.
Alain Lebaube, que je connais depuis 20 ans, avec qui j'ai
travaillé au Monde, qui connaît très bien le monde
du travail et le rapport au travail dans la société, sait très
bien que maintenant, le choc touche les classes moyennes, et c'est sans doute là
qu'est l'interrogation la plus forte, en tout cas pour ce qui est du devenir
politique de cette affaire.
Patrice Spadoni : Merci, comme je crois que vous partez dans un quart d'heure, je voulais vous poser une question avant que vous ne nous quittiez : Vous êtes économiste...
Philippe Labarde : Non, journaliste !
Patrice Spadoni : ...journaliste, mais de formation économique. Comment jugez-vous ce discours dominant que certains appellent l'économisme. Où vous situez-vous par rapport à ces débats ?
Philippe Labarde : Pendant très
longtemps, il est clair que l'analyse dominante des économistes était
une analyse culturelle. Parce que l'économie n'est pas une science. Je
crois qu'il faut être clair. L'économie porte une idéologie,
elle s'est habillée de façon scientifique, mais ce n'est pas une
science. Il suffit d'entendre un débat sur ce qu'est le PIB pour savoir
que ce n'est pas une science : quand on parle du PIB d'un pays, il faut
savoir que si vous avez un accident de voiture, vous augmentez le PIB du pays,
donc vous faites de la croissance. Quand il y a 300 voitures accidentées
sur la route chaque week-end, ça fait augmenter la croissance. Par contre
si vous êtes un baron et que vous épousez votre bonne, vous faites
diminuer le PNB, parce que vous ne lui versez plus de salaire. Voilà de
quoi on parle quand on parle de 3% du PIB ! Alors vous vous rendez compte
quand on est à 0,2 ! Donc, c'est pour vous dire qu'on est vraiment
dans des débats un petit peu vains.
Derrière l'économie, il y a de l'idéologie :
le profit, la compétition, l'équité (au lieu de l'égalité),
là, on est dans un débat idéologique qui ne dit pas son
nom, mais qui est porté par un projet économique. Et ce que l'on a
vu depuis quinze ans, en terme d'économie, c'est un formidable retour de
l'orthodoxie, qui est accompagné du retour de l'argent et des rentiers.
Ce n'est pas neutre. Pendant un temps, la France a vécu avec de
l'inflation. C'est vrai que cela n'enrichissait pas les plus pauvres, mais c'était
la seule méthode pour les classes moyennes modestes, d'accéder à
la propriété. Le fait que les rentiers se soient imposés était
un événement politique extrêmement fort. C'est avec Barre
que ça a commencé. Et c'est comme ça que la crise débute
sans qu'on ne le voit. Ensuite, ça s'amplifie en 1982. Et c'est un
discours économique qui a porté cela, car dès lors que
l'argent devient cher, devient l'outil de référence, il faut réduire
les déficits budgétaires... Il y a toute une série de conséquences
qui en découle : il faut réduire le déficit budgétaire,
il faut réduire les dépenses publiques, il faut donc réduire
l'intervention de l'Etat et derrière, on décline toute une
politique. Actuellement ce que l'on constate, c'est que ce discours passe de
plus en plus difficilement, tout simplement parce que cette politique ne marche
pas bien. Il n'y a pas de pays dans lesquels on puisse dire que ça
marche. Même aux Etats-Unis, dont l'économie connaît une
croissance soutenue depuis 7 ans, on constate une stagnation des salaires, un
accroissement des inégalités. Il faut aussi se souvenir dans le
cas des Etats-Unis que 2% de la population active est en prison ! Quant à
l'Angleterre, il est avéré qu'il vaut mieux être pauvre en
France que pauvre en Angleterre...
Ce qui vient de se passer en Asie montre un peu plus, s'il
le fallait, que ce système poussé à l'extrême creuse
les inégalités. Il sait créer de la valeur, produire avec
de moins en moins de travail, mais n'en fait pas profiter tout le monde. Ce
n'est pas un désastre de créer plus de choses avec moins de
travail, ça serait plutôt une chance, cela devrait-être une
chance. Pourtant, on transforme cela en une formidable machine à exclure
les gens. Le vrai problème est donc bien celui de la redistribution et de
la répartition ! C'est l'un des problèmes fondamentaux que
nous avons à traiter. Bien sûr, tout cela s'est accompagné
d'une globalisation financière, une formidable circulation des capitaux.
On peut détruire des pays en trois jours : la Thaïlande a été
détruite en trois jours. Les marchés sont venus, ils ont vendu la
monnaie locale, acheté des dollars. Ils ont asphyxié la Thaïlande
et ils sont ensuite passés à l'Indonésie. Et après
ils se sont arrêtés en Corée. Coût : 250
milliards de dollars ! Qui paie ? Les Etats ! Au nom du libéralisme !
On est quand même dans un drôle de système ! Les Etats
sont là pour éponger ! Donc, cela ne marche pas et je crois
qu'en ce moment, le discours qui dit que cela ne marche pas est de plus en plus
entendu car les gens le constatent. Les gens qui se sentaient à l'abri
n'y sont plus : les enfants de cadres ne trouvent pas de boulots. Les
cadres à leur tour, à 52 ans, on les vire : Ils sortent de
l'ascenseur, on leur dit " Tiens vous êtes là depuis
longtemps? -Oui, ça fait un bail ! -Et bien passez à la
caisse ! " Alors évidemment, ça change le
comportement des gens. Même aux Etats-Unis, il est extrêmement intéressant
de voir qu'il y a toute une littérature écrite par des économistes,
qui s'interrogent beaucoup sur le fonctionnement du système et même
sur sa re-régulation. Alors qu'on a parlé de dérégulation
depuis dix ans - la dérégulation étant le système
qui consiste à dire " il ne faut pas empêcher le
marché de s'installer parce que le marché répond à
tous les besoins ", on parle maintenant de re-régulation.
Aujourd'hui, on vit une période de surproduction. Les
deux premières périodes de surproduction en Europe, 1914 et 1939,
ont déclenché des guerres. Là, il y a une troisième
période de surproduction, et on est en train de faire une guerre économique.
Intervenante dans la salle : Le capitalisme est-il en pleine déroute à cause de lui-même ou à cause des banquiers ?
Philippe Labarde : D'abord,
il faut dire que, de son point de vue, le capitalisme n'est pas en pleine déroute.
La Bourse est au plus haut, et elle va bien. Il a des effets très rudes
pour certains, mais pour d'autres, ce n'est pas vraiment une catastrophe...
De mon point de vue, le capitalisme, c'est un moment. Ça
date de 200 ans, 230 ans, ce qui n'est pas beaucoup à l'échelle de
l'histoire. Je pense qu'on ira vers sa modification. Ce qui me semble
fondamental, c'est une redéfinition des richesses et de la production,
qui sont actuellement liées à l'entreprise. Aujourd'hui, on considère
que toute la richesse est produite par l'entreprise. A partir de là, on
tombe dans un rapport au travail qui est un rapport marchand, qui à mon
avis réduit le vrai champ des richesses.
Moi, je ne pense pas que la suppression du marché réponde
à tout. On a vu ce que cela donnait dans d'autres pays ! Le marché
doit être là, mais certainement pas comme la référence
obligatoire. Donc, vous me dites, le capitalisme, qu'en faire ? On a vu
qu'on pouvait, à certains moments, dans des rapports de forces, le tenir,
débattre avec lui du partage de la valeur ajoutée. Car c'est ça
l'enjeu : comment partage-t-on ce qui est produit, les richesses produites ?
C'est ça le grand débat ! Est-ce que ce sont les gens qui
tiennent le capital qui prennent systématiquement la part du lion ?
Ou bien est-ce que les gens qui travaillent, revendiquent et obtiennent une
autre répartition des richesses ? C'est ça le grand débat.
Depuis dix ans, il est clair que ce sont ceux qui apportent le capital qui l'ont
emporté dans la répartition de la richesse, c'est très
clair. Est-ce que l'on peut enrayer cela et revenir vers une répartition
plus équilibrée ? Cela dépend des forces sociales et
politiques. En tout cas je ne pense pas que ce soit un système qui puisse
perdurer jusqu'à la nuit des temps. Je pense qu'il y aura autre chose qui
sera inventé. Ça prendra du temps évidemment.
Intervenante dans la salle :
Je voulais parler de la répartition des richesses, parce qu'il faut quand
même savoir qu'il y a de moins en moins de gens qui travaillent, et que
les gens qui travaillent, travaillent de plus en plus.
Je voulais revenir sur un moment particulier du film, le
moment où un personnage dit : " j'ai échoué
à l'examen médical "avec une manière de se
sentir terriblement coupable de ne pas pouvoir travailler.
Patrice Spadoni : Je crois que pour ce qui est du film, c'était le sens même de cette séquence de montrer que les gens se sentent culpabilisés, y compris de ne pas être en bonne santé. J'ai envie de poser une question un peu naïve, peut-être faussement naïve. Nous sommes dans un pays où le gouvernement se dit de gauche, qui part d'une tradition de contestation du capitalisme, même si elle est maintenant lointaine. Nous appartenons à l'Europe, où la majorité des pays est dans ce cas, et où d'autres pays tels l'Allemagne vont eux aussi aller dans ce sens. Alors qu'en est-il aujourd'hui pour les gauches, tant en France qu'en Europe, en ce qui concerne la question du travail ? Quelles réponses politiques s'expriment à l'heure actuelle sur cette question, qu'on peut aussi poser en terme de chômage ?
Alain Lebaube : Je crois
qu'effectivement à un moment donné, on débouche sur le
problème politique. Quand Philippe Labarde parle du basculement, de
l'argent qui devient cher, il y a un point de départ à cela, qui
est 1971. C'est l'année où la parité entre le dollar et
l'or est abandonnée. A partir de ce moment-là, le dollar se met à
flotter. A partir de ce moment-là, d'ailleurs, progressivement, les économies
vont se mondialiser. Je crois qu'au-delà de l'aspect financier dont
Philippe Labarde parlait tout à l'heure, le terme de globalisation
recouvre d'autres réalités. Et notamment cette donnée du
problème qui fait que comme les économies sont maintenant imbriquées
entre elles, elles ne peuvent plus se dissocier les unes des autres. On voit
bien comment il y a un jeu d'interaction entre toutes les initiatives politiques
sur le terrain de l'économie, et comment personne ne peut désormais
s'extraire du jeu. Les problèmes ne sont pas seulement le fait des échanges,
des importations, c'est surtout que nous sommes dans un jeu d'économies
interdépendantes. Je peux l'exprimer d'une autre façon, à
travers quelques exemples.
Contrairement à 1992, quand l'Italie et la
Grande-Bretagne ont fait ce qu'on appelle de la dévaluation compétitive
(ce qui leur a été beaucoup reproché), aujourd'hui, aucune économie
ne peut plus s'extraire du jeu mondial. On se souvient aussi du grand débat
des années 80 :
faut-il sortir du SME ?, appuyé par Chevènement, et
on se souvient aussi de l'hésitation de Mitterrand. Aujourd'hui, il n'y a
plus ce type de débat. La gauche elle-même ne repose plus ce type
de question :
Va-t-on vers l'euro ou non ? Elle ne met pas en cause le mode de
fonctionnement économique général. Quiconque tenterait de
le faire serait mis au ban par les autres nations. C'est le premier point que je
voulais souligner.
Le deuxième point qui est important, et qui ramène
à l'intitulé du débat, c'est comment les économies
sont à ce point contraintes qu'elles ne peuvent plus sortir du jeu ?
Par exemple au printemps 96, aux USA, le gouvernement fédéral a
annoncé une augmentation des créations d'emplois, au-delà
de ce qui était espéré à l'époque. En langage
courant, en langage populaire - le nôtre - on considère cela comme
une bonne nouvelle. Or, systématiquement, plusieurs mois de
suite, cette bonne nouvelle a été interprétée
de façon négative par Wall Street, par les boursiers, par les
financiers, au point que Wall Street a baissé à chaque fois. Donc
la sanction boursière a été violente. Cela rejoint ce que
disait Philippe Labarde tout à l'heure sur la manière dont
l'emprise de l'argent est devenue forte sur l'économie. On pourrait dire
que c'est un raisonnement irrationnel. Et la logique interne de ce raisonnement
est assez préoccupante, car cela revient à dire que dans le
raisonnement boursier, le fait qu'il y ait création forte d'emplois
signifie que la machine est en train de s'emballer, elle va trop vite et elle
devient dangereuse. Elle devient dangereuse car il y a davantage de pouvoir
d'achat, et si il y a davantage de pouvoir d'achat, il y a risque et menace de
retour de l'inflation. Donc c'est une mauvaise nouvelle.
C'est aussi intéressant de voir comment les bourses réagissent
à la crise financière du Sud-Est asiatique. A l'inverse, cette
crise est interprétée comme une bonne nouvelle ! On n'a jamais vu
Wall Street aussi haut, ni Paris aussi haut. Pourquoi ? Parce que là
aussi, c'est une manière de calmer la marmite, de faire lever le pied aux
économies asiatiques qui risquaient de poser un certain nombre de problèmes.
Tel que c'est interprété, cela revient à dire que l'économie
mondialisée, je préfère dire globalisée, ne
tolère plus que des croissances maîtrisées et des
croissances raisonnables. Or, les croissances maîtrisées et
raisonnables sont des croissances qui ne permettent pas de régler le
problème du chômage. Et comme nous sommes dans un monde où
les économies des différentes nations sont complètement
imbriquées les unes dans les autres, il apparaît bien que le débat
politique ne propose pas d'autre voie.
Même avec l'alternance entre la droite et la gauche,
les gouvernements continuent à suivre le même raisonnement, car ils
ne peuvent plus s'extraire de cela. Alors comment fait-on ? Si on considère
que les partis de gauche n'arrivent pas à faire une autre politique parce
que l'économie est organisée de cette manière, comment
fait-on pour en sortir ? Manifestement, ce n'est certainement pas le
bulletin de vote qui va suffire. On peut penser que seule un questionnement
profond sur la démocratie mondiale pourrait amener à renverser le
problème. Et personnellement, je ne vois pas de solution. Où sont
les forces sociales qui s'organisent pour faire bouger ce genre de chose ?
Aujourd'hui, pour ma part, je ne vois malheureusement pas d'issue.
En revanche, il y a une chose qui est tout à fait
curieuse. Avec cette situation qui s'aggrave, l'écart de plus en plus
grand entre les richesses, le creusement des inégalités, à
un moment donné, ce sont les " pêcheurs "
qui appellent au calme. C'est assez curieux à dire, mais regardez par
exemple Georges Soros, un des plus gros spéculateurs mondiaux, qui avait
fait tomber la Livre Sterling et qu'on a vu réintervenir récemment
en Thaïlande. Il fait partie de ceux qui disent aujourd'hui qu'il faut
calmer le jeu, qu'il faut mettre des systèmes de régulation. Et si
on regarde bien ce qui s'est passé au sommet de Davos, il y a maintenant
deux mois, qui réunit les plus grands économistes, chefs d'Etat,
industriels et hommes d'affaires, on s'aperçoit qu'eux aussi commencent à
dire que ce système-là nous mène droit dans le mur.
Ils ont peur que cette situation, dont parlait Philippe
Labarde tout à l'heure, ne leur pète à la figure. Et là,
je ne parle donc pas de la voie démocratique, mais plutôt de la
peur technocratique des gens qui détiennent le pouvoir, qui aujourd'hui
s'affolent du risque d'aller trop loin. Pour autant, on ne voit pas monter de façon
très claire une opposition mondiale, ce qui me semble être le seul
recours face à la manière dont sont aujourd'hui posés les
problèmes économiques et politiques les plus cruciaux.
Intervenant dans la salle : Au lieu de vous poser une question, je voudrais vous faire une proposition : qu'avant la fin du débat, on prenne un temps pour donner des solutions alternatives, car moi j'en ai recensé plein. Simplement, les médias n'en parlent pas. Il faut créer des réseaux de circulation alternatifs. Moi, je pense qu'il faut que nous soyons des Citoyens au lieu d'être des Spectateurs ! Moi, au lieu de Citoyens-Spectateurs, je cherche des Citoyens-Acteurs, qui dès demain matin vont faire circuler les vrais chiffres, et les vraies alternatives, les micro-bricolages du monde de demain. Il n'y a pas de références, c'est le système D., car justement, le système a tout verrouillé.
Intervenante dans la salle : Je m'étais fiée au titre du débat d'aujourd'hui... Jusqu'à présent, on parle de la société de compétition, or dans le titre, il y a quand même la question de l'exclusion. Chaque fois qu'on utilise le terme, on oublie de dire exclu du système économique . Or d'une certaine façon, les exclus sont une nécessité de ce système. Est-ce qu'on pourrait parler des exclus de la République , ceux qui n'ont plus aucun droit ?
Intervenant dans la salle : Vous faites un après-midi sur l'exclusion, et il faut payer 35 F pour participer à cet après-midi. Qui peut, parmi les exclus, puisque c'est pour eux, et qu'ils pourraient venir témoigner, qui peut mettre 35 F pour venir participer ? Personne ! Quand vous avez 2 200 F par mois pour vivre, vous ne pouvez absolument pas payer 35 F pour venir. Je trouve cela dommage, car cela manque de témoignages. Je voudrais demander aux journalistes présents s'ils ont vécu le chômage de longue durée ? Moi, je l'ai vécu. On a beau avoir de la compassion, s'occuper des autres, quand on n'y est pas passé, il y a plein de choses qui vous échappent. Et moi le premier ! Avant, je m'occupais de chômeurs alors que je ne l'étais pas. Et quand je me suis retrouvé au chômage, j'ai compris plein de choses. Je vais vous donner un seul petit exemple : on se regroupait le soir pour les aider à retrouver de l'emploi, à la fin de la soirée, vers 23 heures, car dans la journée, il vont chercher du boulot. Je ne comprenais pas à l'époque pourquoi la moitié me disait non, non, je rentre directement. Et j'ai compris plus tard, il a fallu que j'y passe : parce que tout simplement ils n'avaient plus 5 balles à mettre pour un café.
Vincent Glenn : Quelques mots pour répondre à ce qui vient d'être dit : ici, c'est un cinéma municipal. Nous, l'association de l'autre côté, on organise cette manifestation et on a posé ce problèmé de gratuité sans l'obtenir auprès des responsables du cinéma. Ce n'est pas tant pour nous justifier, que pour dire les règles qui ont cours, et pour dire qu'on a pas obtenu la gratuité. Ce qu'on a convenu, mais de façon informelle, c'est que toute personne venant à la caisse et qui dirait : je ne peux pas payer, je suis chômeur et vous faites un débat sur les chômeurs, de toute évidence on les laissait entrer.
Annie Agopian1 : On n'attend pas que les gens demandent, on annonce la chose ! Il fallait marquer dans Montreuil Dépêche, "accès libre aux chômeurs" là, c'est honnête ! Ils ne doivent pas quémander.
Intervenant dans la salle : Moi, je me suis déplacé hier. J'ai essayé de rencontrer le responsable du cinéma. J'ai finalement eu au téléphone la responsable, celle à qui on devait s'adresser. On s'est expliqué, mais c'est pas pour ça qu'elle m'a dit qu'on pourrait rentrer gratuitement.
Carlos Pardo: Ce qui est sûr, c'est qu'en tant qu'association organisatrice, on n'avait aucun moyen d'imposer un tarif préférentiel pour les chômeurs.
Vincent Glenn : S'il
s'agit de connaître notre point de vue, il est évident que nous on
est pour que les chômeurs aient des tarifs préférentiels, et
qu'on en a parlé. Simplement il faut réaliser que ce n'a pas été
gagné, et que partout ailleurs, pour ce qui est de la gratuité, ou
de tarifs préférentiels pour les chômeurs, ce n'est pas gagné
d'avance, c'est un combat, il faut faire les propositions, il faut revendiquer,
et ça prend du temps.
Et puisque je parle de propositions et comme suite à
ce que suggérait quelqu'un tout à l'heure, je rappelle qu'on a
placé à l'entrée une boite à idées et
qu'on invite chacun à la remplir de propositions d'initiatives, de
suggestions, de critiques, d'informations alternatives qui pourront servir de
base à des revendications ou des projets à venir et à
partager.
Patrice Spadoni : Je propose de revenir aux gens qui sont à la tribune pour rebondir sur une question sur le mouvement des chômeurs, et plus largement sur les mouvements de lutte contre l'exclusion. Est-ce que cela peut selon vous avoir une incidence, ou bien est-ce que cela ne pèse pas du tout par rapport à la situation bloquée que vous décriviez ?
Alain Lebaube : Il faut
reconnaître beaucoup de mérite au mouvement des chômeurs, et
notamment en France. Le fait qu'il ait existé à ce moment précis
est important. Contrairement à certains dirigeants syndicaux qui ne
retiennent que l'idée qu'il est " manipulé ",
je trouve qu'il a une vraie valeur symbolique. On n'aborde plus les problèmes
du chômage et du travail de la même façon depuis ce
mouvement-là. Alors vous me direz, c'est catastrophique d'avoir dû
en passer par là ! Il n'empêche que cela a servi de révélateur
et qu'un coin est enfoncé. Ce qui me paraît le plus intéressant
dans ce qui s'est produit, c'est qu'il est apparut pour beaucoup de gens qu'il
n'y avait pas de liaison obligatoire entre un revenu d'activité et un
emploi, que les deux choses pouvaient parfaitement fonctionner différemment.
Pour le dire autrement, il est apparu clairement qu'on pouvait avoir une
situation d'emploi et ne pas avoir les moyens de vivre. Et qu'on pouvait être
au chômage, bénéficier des minimas sociaux et ne pas avoir
les moyens de vivre. Là, il y a une vraie déconnexion qui est
apparue clairement, et dont il va falloir faire quelque chose. On ne peut plus
donner des réponses où seul le travail peut apporter le revenu
pour vivre. Il faut sans doute penser à autre chose. Le fait que le
premier ministre commence à dire qu'on peut associer du RMI avec une
reprise d'activité, est une évolution importante, avec des
dangers, bien-sûr, parce qu'il y a d'autres hypothèses qui peuvent
venir là-dessus.
Pour aller très vite, je vois la possibilité
de débattre autrement du problème de l'emploi, en parlant de la
pluri-activité, y compris permettre à des gens d'associer du
minima social avec des revenus du travail. Deuxièmement, cela permet d'évoquer
la piste future d'une allocation universelle de revenu minimum. Et ça
peut être intéressant. En revanche, cela présente des tas de
difficultés quand on voit comment un personnage comme le baron Seillière
peut récupérer ce type d'idées, et comment la proposition
qu'il a faite avant-hier est de ce point de vue tout à fait inquiétante.
Parce qu'en utilisant ce que je viens de dire, il dit qu'on peut régler
le problème du chômage d'un certain nombre de personnes en
acceptant que ces personnes soient payées au prix qu'elles valent sur le
marché du travail, c'est-à-dire au prix où les entreprises
peuvent les payer, cela revient à dire en dessous du SMIC. Et il rajoute
que l'Etat peut apporter un revenu complémentaire qui permet de vivre !
Il y a débat, et nécessité de se
mobiliser, et je crois que le mouvement des chômeurs permet de se
mobiliser sur ces éléments qu'on va devoir faire bouger, sans se
laisser embarquer dans des propositions type Seillière. Et que cela se
soit produit en France, qu'il y ait eu un mouvement en Allemagne et ailleurs,
montre qu'il y a un début de voie. Et en plus du mouvement des chômeurs,
ce qui est important dans cette période, puisque l'Etat ne sait pas
faire, puisque le politique ne sait pas faire, et que l'économique est
utilisé exclusivement par les entreprises, c'est qu'il revient la
responsabilité à chaque citoyen de savoir quel type de société
on veut construire, et quel type de rapport et de cohésion sociale on
veut avoir. Ca n'est quand même pas sans intérêt ni sans
importance.
Patrice Spadoni: Parler de l'exclusion, ce n'est pas seulement analyser et chercher les causes - ce qui est absolument déterminant - c'est aussi souligner le fait que depuis quelques années, des choses changent dans la société, puisque des exclus se mettent directement à se battre contre cette situation. Pierre Contesenne, de Droits Devant ! , une des associations qui s'est retrouvée dans les luttes dont nous parlons, qu'est-ce que tu en penses ? P>
Pierre Contesenne :Vaste
débat ! Pour ce qui me concerne, je ne suis pas un "exclu",
je suis salarié. En préalable, je voudrais souligner que c'est
incontournable lorsqu'on organise ce genre de débat, de faire en sorte
que les chômeurs ou les sans-ressources puissent participer gratuitement.
Cela dit, je ne tire pas à boulets rouges sur les organisateurs.
Certaines fois, ce n'est pas réalisable et qui plus est, la gratuité
ne règle pas tout. Ce n'est pas parce que c'est gratuit que les chômeurs
vont venir. Ce n'est pas parce que les musées sont gratuits que les
quartiers vont venir en masse dans les musées. On sait très bien
que si c'était si simple que ça, le boulot des militants serait
grandement facilité.
Nous, on part du principe que l'économie n'est pas
une science. Ça veut dire qu'on est en pleine subjectivité dans
tout ce qui concerne l'économie, et qu'effectivement, quand notre
association dit qu'il faut répartir les richesses autrement et qu'il faut
mettre en place un revenu universel garanti, qui permette de vivre décemment
à ceux qui n'ont pas de ressources, on ne se considère pas dans
l'utopie. Et lorsqu'on argumente avec des chiffres, notre raisonnement tient
autant que celui de Monsieur Barre ou Monsieur Strauss-Kahn. Ça, c'est un
préalable, parce qu'on sort de 15 ans de laminage intellectuel, de
bourrage de crâne, de défaite idéologique comme disait
Labarde. Je crois même que cela va plus loin que ça. Dans les années
80, ça a été la désertification de la critique. Ça
a été redoutable ! On a vu se mettre en place un nouveau
compagnonage. Ce n'était plus les compagnons de route du Parti
Communiste, c'était les compagnons de route du libéralisme. On a
vu toute une partie des élites intellectuelles ou disons médiatiques,
qui a accompagné ce mouvement, et ça a été
catastrophique. Aujourd'hui, le constat optimiste, c'est qu'on assiste au retour
du sens critique, de ce qu'on a appelé autrefois la critique sociale.
Je parle de la critique sur le terrain, avec des actions qui sont menées
par ceux qui sont directement concernés et aussi une critique plus théorique
ou intellectuelle. Et ce soir, on est un peu là pour ça.
Je voudrais revenir sur ce qui a été pour moi
le sommet de cette dérive des fameuses élites, sans pour autant
tomber dans le dénigrement systématique des élites, de type
populiste, mené par le Front National. Rappellez-vous le rapport Minc en
1994. Y participent des philosophes, des sociologues, de grands intellectuels de
gauche, des grands patrons d'industrie, comme on les appellait dans les années
80. Il faut relire ce bouquin aujourd'hui comme exemple de la démission
des intellectuels. Comment des gens comme Edgar Morin ont-ils pu participer à
l'élaboration de ce rapport ? C'est hallucinant aujourd'hui !
Je citerais juste un passage : " la société
de marché produit nécessairement de la différenciation
sociale. Et celle-ci est une incitation naturelle à l'effort et au
dynamisme. " Sans caricaturer, prenons certaines revues théoriques
ultra-libérales, ou même des programmes économiques de
l'extrême-droite, en remontant par exemple dans les années 30, on
verra une formulation qui n'est pas tellement différente. En tout cas le
concept est le même. Et ce qui est cocasse, c'est qu'en continuant un peu
plus loin dans le rapport, on pouvait lire : " la société
de compétition - on est en plein dans le débat -
doit cesser d'exclure sous peine de devenir une société de décadence. "
C'est quand même assez incroyable que cette contradiction évidente
où on dit en gros,
la société produit naturellement les différenciations
sociales qui de toute façon sont nécessaires et tant mieux !
et de l'autre, on dit oui mais ça va créer de l'exclusion et ça
va devenir une société de décadence. Alors il faudrait
tout de même savoir ! Je dirais que cette contradiction symbolise
bien ce désert de la critique sociale des années 80 dont on
commence à sortir aujourd'hui.
Maintenant je voudrais dire deux ou trois mots sur
Droits Devant! pour ceux qui ne connaissent pas. Nous sommes une des
associations dites " de lutte contre les exclusions "
et nous insistons bien sur les exclusions au pluriel, car il n'y a pas
une exclusion. En gros, Droits Devant! est issu de Droit Au Logement,
qui apparaît au début des années 90 pour le relogement de
familles expulsées. Ça commence lors de l'expulsion de fammilles
africaines de leur logement - quelqu'un de "bien intentionné"
ayant mis le feu dans l'immeuble - et qui se sont retrouvées Place de le
Réunion dans le XXearrondissement. Et là, se monte l'association
Droit Au Logement.. Quelques années plus tard, on investit la rue
du Dragon dans le VIearrondissement,
et là on fait le bilan de l'association et on se dit que si le droit au
logement est un droit fondamental, il ne résout pas tout. C'est bien
d'avoir un logement, mais ça ne suffit pas si on n'a rien pour manger, si
on est malade et qu'on ne peut pas se soigner. Nous avons donc décidé
de monter une association qui s'appelle
Droits Devant! et qui entend intervenir sur l'égalité
d'accès aux droits fondamentaux. C'est un vaste programme ! On ne prétend
pas le résoudre tous seuls, donc nous fonctionnons en réseau. Nous
avons des partenaires avec qui nous fonctionnons depuis plusieurs années.
Et il s'est constitué comme ça une sorte de réseau de lutte
du mouvement associatif, qui regroupe en gros
AC!, APEIS, le MNCP, DAL,
Droits Devant!, Comité Des Sans Logis, Act Up.
On se retrouve régulièrement dans les actions et les
manifestations, comme là, on va tous se retrouver ensemble lors de la
manif de samedi2.
Avec tous ces problèmes des exclusions, on dépasse
le simple cadre économique. Et nous sommes au coeur de la difficulté.
Comment articuler toutes ces luttes ? Comment faire avancer les droits ?
Là, franchement les chiffres ne suffisent pas. Les propositions..., au
Dragon, on en avait 500 par jour ! Non, à un moment donné, ce
qu'il faut, c'est s'impliquer, y compris aux côtés de ceux qui sont
sans logis ou sans boulot, sans prétendre parler à leur place. Il
faut faire jouer les complémentarités et les convergences. Nous,
ce qui nous intéresse, c'est de travailler ensemble. Chaque association a
sa spécificité. Certains, c'est plus les SDF, d'autres travaillent
plus sur le chômage, d'autres plus sur le logement. Nous, nous nous sommes
investis sur les sans-papiers, parce qu'on pense que c'est une priorité
aujourd'hui de se battre à côté de ceux qui sont les plus
marginalisés. Lorsqu'on est immigré, sans papier et au chômage,
et qu'en plus on est malade, je ne vous fais pas de dessin ! On travaille
donc en complémentarité, chacun dans sa spécificité
et on se retrouve ensemble dans des dynamiques, dans des luttes communes. Et on
met nos forces en commun car les associations ne sont pas si fortes que cela. Il
faut être honnête, aucune association ne regroupe des milliers de chômeurs
ou de SDF... ce sont de petits réseaux, mais qui sont très
efficaces. Comme disait Lebaube, les luttes ont de fortes dimensions
symboliques, même si on n'est pas si nombreux que ça sur le
terrain. Mais il ne faut quand même pas minimiser. Je rappelle qu'en 94,
AC! a mené des marches dans toute la France, qui se sont finalisées
par une manif de 30 000 personnes à Paris, avec l'occupation, avec le
DAL, d'un immeuble vide place de la République. En 95, il y a eu
une manifestation de 30 000 personnes contre les exclusions, à la suite
de la prise du Dragon. Depuis quelques années, on voit que des mouvements
de masse se cristallisent lors de certaines manifestations. Cela nous fait
penser qu'il y a encore du travail à faire, car on ne gagne que quand les
gens descendent dans la rue. C'est comme ça que les politiques réagissent.
Je voudrais dire encore deux ou trois choses sur les
contradictions. Vous savez que le gouvernement va mettre en place une loi dite
de lutte contre les exclusions. Cette loi reprend un peu le projet
impulsé sous Chirac, par Xavier Emanuelli qui était son secrétaire
d'Etat à l'urgence humanitaire. Et cette loi dite de cohésion
sociale a été stoppée au moment de la dissolution de
l'Assemblée par Chirac. C'est vrai qu'à l'époque, un
collectif d'associations avait largement critiqué ce projet en disant
qu'en terme de contenu, il n'y a rien, en terme de moyen, il n'y a presque rien :
c'était 3 milliards de francs. Aujourd'hui, on annonce entre 30 et 50
milliards de francs, en fait 20 milliards de francs sur trois ans. Ce n'est pas
si mal, certes, mais même en considérant qu'il y a une avancée,
l'actuel projet de loi de lutte contre les exclusions est bien loin de
satisfaire l'ensemble des mouvements associatifs. On s'aperçoit que c'est
encore largement insuffisant.
Même avec la gauche plurielle au pouvoir, il faudrait
un vrai courage politique pour mettre en place un contenu et des moyens, qui de
fait, déplairaient aux lobbies des décideurs économiques,
en premier lieu au patronat. Malheureusement, ce n'est pas le choix qui a été
fait.
Je conclurai en disant que le pôle de lutte contre les
exclusions travaille ponctuellement avec le pôle humanitaire. Car nous
considérons que le vrai danger aujourd'hui, c'est que le gouvernement de
gauche choisisse les mêmes facilités qu'un gouvernement de droite.
En fait, tout le discours autour de la croissance et sur la partage des fruits
de la croissance, et la diminution du chômage qui en découlerait,
c'est évidemment du pipeau ! Aujourd'hui, pour inverser la courbe du
chômage, il faudrait une croissance de 10% par an. Objectivement, ce n'est
pas crédible ! On est toujours dans un processus massif de création
de chômage et des exclusions. Et donc, le risque, c'est que le
gouvernement fasse prendre en charge ces populations par les organisations
caritatives, qui ont bien sûr une légitimité - il ne s'agit
pas de polémiquer - mais qui ont aussi leurs limites. Elles le
reconnaissent, elles ne restent jamais que des cautères sur des jambes de
bois. ATD Quart Monde et Madame De Gaulle ne disent pas autre chose :
" Si on redistribuait les richesses, nous, on ne servira plus à
rien. " Donc, le risque est de faire prendre en charge les
populations les plus reléguées socialement par les associations
caritatives, sans remettre en cause un fonctionnement de société,
profondément injuste et inégal, et qui produit de plus en plus
d'inégalités. Ça, c'est le vrai danger politique. C'est
pour ça que nous pensons qu'il est essentiel que les acteurs potentiels,
chômeurs, chômeuses, tous ceux qui sont en situation de relégation
sociale, s'organisent, se battent et se prennent en charge. Il faut travailler
ensemble, y compris avec les organisations syndicales, qui commencent à
aller sur ce terrain depuis quelques années, alors qu'avant ce n'était
pas facile, tout simplement parce que dans le principe, elles sont des
organisations de travailleurs et non de chômeurs ! Aujourd'hui, on
commence enfin à voir les syndicats prendre en charge le problème
du chômage.
Intervenante dans la salle : Je voudrais faire un petit retour en arrière, revenir sur le
fait qu'il n'y ait pas beaucoup de possibilités pour les chômeurs
d'assister à ce débat. Je suis d'accord avec ce qui a été
dit tout à l'heure. Ceci dit, il faut se rendre compte que dans une journée
comme celle là, qui parmi les travailleurs peut se libérer la
journée pour venir participer aux débats ? Il n'y en a pas
non plus des masses, la preuve : on n'est pas nombreux ici. Et peut-être
que le Méliès n'est pas encore devenu un vrai lieu de rencontres
et de débats, mais ça peut le devenir dans le futur. En tout cas
ce serait bien.
Je vais poser une question : je fais partie des gens
qui comprennent très peu de choses à l'économie, mais qui
essaient quand même d'y voir plus clair. J'ai entendu dire par deux
personnes différentes que l'économie n'est pas une science. Par
contre dans vos discours respectifs, j'ai cru discerner qu'il y avait quand même
des lois qui se dégageaient, et je me demande si à partir de ces
lois on ne peut pas définir des règles qui pourraient arriver à
changer les choses. Et c'est la grosse question que je me pose à chaque
fois que j'ouvre mon poste de télévision : pourquoi le
discours des politiques, devant cette situation que tout le monde ressent plus
ou moins consciemment comme mauvaise, pourquoi ce discours est-il toujours aussi
petit, aussi creux ? Pourquoi est-ce que rien ne change dans ce discours,
pourquoi toutes ces choses que vous êtes capables de nous apporter - ces réflexions
qu'à notre niveau, nous sommes capables de comprendre !- pourquoi
est-ce qu'apparemment ces gens qui nous gouvernent ont l'air d'être autant
à côté, de raisonner sur la base d'idées usées,
toutes petites ? Ils ont l'air de manipuler des bouts de ficelle ! On
aimerait un jour ouvrir cette télé, et entendre quelqu'un parmi
ces gens connus et trop connus, dire quelque chose qui paraisse nouveau, qui
soit un bout de clé au problème.
Alain Lebaube : Sur la
question de savoir si l'économie est une science ou non, je crois que ce
n'est pas un débat intéressant. Ce qui est intéressant,
c'est ce qui a été dit tout à l'heure : il faut tenir
compte que derrière, il y a de l'idéologie. C'est ça qui
est important.
Pourquoi personne ou presque ne dit rien ? Il y a des
choses qui sont dites. Ce qui est clair, c'est que - j'évite de dire le
politique - je dirais les dirigeants, pour englober y compris la société
civile, ne veulent pas s'attaquer au problème. Il y a un accord implicite
sur le chômage : c'est ça qui se passe ! Il y a un
personnage qui s'appelle Denis Olivennes, qui a dit ça à un moment
donné, qui parlait de la préférence française pour
le chômage. Cette société s'est persuadée que ce qui
arrivait était momentané et temporaire, qu'un jour ou l'autre on
reviendrait à une situation plus satisfaisante, et qu'en attendant il
fallait faire des sacrifices. Et ces sacrifices, on les a fait dans de
nombreuses directions. D'une part, de façon assez confortable, on a
permis le départ en pré-retraite des plus âgés, et on
a d'autre part retardé l'arrivée sur le marché du travail
des plus jeunes, à tel point qu'aujourd'hui, nous sommes le pays qui a le
taux de scolarité des moins de 24 ans le plus important. Il n'y a pas de
pays au monde où il y ait autant de jeunes scolarisés - ce qui
représente des avantages, mais aussi de graves inconvénients.
Aujourd'hui, il y a 69% des jeunes de 15-24 ans qui sont encore scolarisés.
C'est le taux le plus élevé du monde. On a fait ce choix là,
de façon à préserver les 25-55 ans. C'est la politique qui
est conduite depuis le début des années 70. Et il y a un accord
implicite autour de ça. Dire les choses différemment, commencer à
raisonner différemment remettrait en cause une forme de consensus. Ce
n'est pas facile. On parlait des médias tout à l'heure, on passe
son temps depuis 25 ans à écrire et à dire que nous sommes
dans une crise. C'est invraisemblable de dire cela. Une crise, c'est temporaire !
On en sort un jour ! Et puis on suppose qu'on va revenir à la
situation antérieure, ou à peu près. Or, 25 ans , ce n'est
plus une crise. Nous sommes en fait dans une mutation, dans un bouleversement
profond de notre société, de nos modes d'organisation, nos modes
de production, de notre rapport au travail, etc. C'est de ça dont il faut
discuter ! Mais d'une certaine façon, et je reviens aux classes
dirigeantes : personne n'a envie d'aller dire cela à la télévision
en deux minutes. Si ce n'est pour se faire jeter et baisser dans les sondages.
Parce qu'on en est là. Personne ne va s'exprimer sur ça, parce que
ce n'est pas le plus facile, parce que ça suppose du débat, de la
pédagogie, de l'explication, du temps pour que les esprits mûrissent.
Et personne n'a envie de prendre ce risque là. On préfère
faire des débats rapides comme on le voit à chaque campagne électorale,
de façon à retourner aux oppositions politiciennes habituelles,
c'est tout !
Intervenant dans la salle : Moi, je suis chômeur, je suis passé il y a quelques mois pas très loin d'une situation très grave, puisque, saisi sur mon compte par le Trésor Public suite à une erreur administrative de La Poste, je me suis retrouvé à aller voir le Secours Populaire pour avoir 500 francs, à aller chercher à manger dans les distributions, etc. C'est une chose que je n'avais jamais connue parce que je suis issu d'un milieu relativement aisé. On parle de l'exclusion, et moi j'ai envie de dire que je n'ai pas envie de m'intégrer dans cette société. Parce que justement j'ai envie de garder mon intégrité et un esprit critique, que j'espère on est en train de retrouver un peu partout, progressivement. Je n'ai pas envie de m'intégrer dans cette société, je n'ai pas envie de récupérer ma carte bleue, de faire le jeu du blanchiment de l'argent sale, des marchands d'armes de mon pays ou d'un autre. On parle de l'économie et on parle du système, et on cherche des solutions pour le faire évoluer, pour le faire changer, on n'arrête pas de faire des constats sur des aberrations, sur des choses qui nous paraissent totalement inhumaines, et je crois qu'il est là le vrai problème, on est en train de vivre un problème humain. Ce n'est pas tant un problème politique, ou un problème économique, c'est un problème humain ! C'est-à-dire qu'il y a des choses qu'il va falloir s'avouer au bout d'un moment. Il va falloir avoir le courage de ce qu'on ressent. Quand on a un ami qui crève de faim et qu'on n'a pas de solution pour lui... moi, je ne sais pas... tout à l'heure, quand on a commencé le débat, avec Philippe Labarde, qui énonçait un certain nombre de constats et d'aberrations de notre système capitaliste, ça a provoqué des sourires dans la salle, presque des rires... Moi, ça me fait peur, cette attitude ! Moi, quand on me parle des aberrations, comme le nombre d'enfants en dessous du seuil de pauvreté, j'ai envie de pleurer, je n'ai pas du tout envie de rire, pas un seul instant !
Intervenante dans la salle :Effectivement, là, on fait un débat très poli.
Question : est-ce qu'on va réussir à sortir de l'aveuglement ?
La logique économique veut que le travail coûte de moins en moins
cher. Moi, je dis que j'ai crevé la dalle aussi. Je dis que j'ai été
saisie aussi ! Et malgré ça, année après année,
on reste encore présentable ! On est encore apte à parler et à
s'exprimer poliment !
Mais il y a une question de choix politique. Est-ce qu'on va
continuer avec nos hommes politiques qui procèdent par de petits
colmatages ? Vous avez vu la loi qu'ils viennent de passer ? Quand on
dit RMI, minimum social, moi, je ne l'ai pas. Tous les gens n'arrivent pas à
avoir le RMI. Il y a plein de gens qui ne peuvent pas être dans une catégorie
de merde ! Je connais des gens, on leur recalcule leur RMI, et ils
n'obtiennent que 800, 900 F. Les 2200 F, c'est un maximum ! Et si on
veut exprimer sa désapprobation avec les choix de société
menés par la droite comme par la gauche, que faire ? Le vote blanc
n'est même pas pris en compte ! Alors, oui, on peut en rire.
Intervenant dans la salle: On peut en rire, mais alors cela devient un rire hystérique, et vraiment un rire malade ! Moi, je rejoins ce que disait monsieur devant moi tout à l'heure, je crois que la vraie bataille c'est celle de l'information, de la communication, parce qu'aujourd'hui, on est dans un monde où l'escroquerie fonctionne grâce à cela. Elle tient la route parce que dans des pays en voie de développement, on donne à manger le rêve américain à la télévision tous les jours. Contraints et forcés de rentrer dans le système capitaliste, les gens ne rêvent plus que de s'acheter leur télévision et leur Mac Do, et leur voiture et ceci et cela... Là où on trouvera des solutions, c'est dans de nouvelles pratiques sociales, dans de nouvelles pratiques culturelles. Je crois qu'il y a des choses à inventer. La seule chose qui m'intéresse aujourd'hui, c'est qu'est-ce qu'on peut inventer pour que cela change, dans le sens de vraiment inventer, car je ne crois pas dans l'évolution de l'ancien système. Je ne peux plus y croire. On l'a dit tout à l'heure, les économies sont imbriquées, les hommes politiques sont pieds et poings liés, donc, il faut inventer d'autres façon de vivre en laissant les dinosaures crever dans leur coin ! Il y a énormément de micro-organisations qui voient le jour partout parce qu'au bout d'un moment, les gens se retrouvent face à eux-mêmes, et cherchent des modes d'organisation entre eux à leur propre niveau. Il faut communiquer au maximum entre tous ces réseaux.
Patrice Spadoni : On s'approche de la fin du débat parce que nous allons devoir libérer la salle. Encore quelques mots ?
Pierre Contesenne :Il existe plein de mouvements, plein de choses, il faut commencer par s'y intéresser.
Intervenante dans la salle :J'avais trois remarques : on parlait au début du mouvement
des chômeurs. Je trouve qu'ils ont fait émerger dans la presse
l'existence de tous ces gens qui travaillent et qui sont quand même très
pauvres. Je pense notamment à une série d'articles sur les caissières
des grandes surfaces qui gagnent 2 500 balles par mois et qui travaillent
de 8 h à 10 h le matin et de 17 h à 20 h le soir, à deux
heures de distance de chez elles. Ça nous a permis de nous rendre compte
de cela, car il y a eu une audience assez large même dans des journaux
qu'on trouve sur le comptoir.
Je voulais rejoindre un peu ce que disait madame sur l'économie :
on a effectivement l'impression que le discours sur l'économie est dur à
comprendre. Mais il faut le comprendre, car je sens que sinon, on restera exclu
de la réflexion.
Intervenant dans la salle : Je voudrais ajouter quelque chose. Il y a une autre catégorie de la population dont on n'a pas parlé ici, peut-être qu'on y est plus sensible quand on habite Montreuil et qu'on travaille à Montreuil, c'est tous ces jeunes qui n'ont pas encore appris le plaisir de discuter ici comme on le fait ici. Qui ne savent pas le faire, qui n'ont pas cette politesse dont parlait madame, et qui ont quand même cette angoisse profonde dont parlait monsieur tout à l'heure. Qui sont conscients ou qui ressentent plus ou moins intuitivement qu'il n'y a pas d'espoir pour eux, et qu'effectivement il y a un énorme mensonge au dessus de ce monde. On ne sait pas comment passer au dessus de lui. Et ces jeunes, qui ont une force, une force et une violence qui pourront peut-être aider à faire progresser la situation, mais qui aussi pour une partie d'entre eux n'agiront pas forcément pour le mieux. Il faudrait penser à cela.
Pierre Contesenne :Juste
deux ou trois choses : primo, je crois qu'on ne fait jamais du neuf qu'avec
du vieux. Les génis, les idées géniales spontanées,
c'est assez rare. Tout ça pour dire que la bataille de l'information
c'est important, mais ça ne suffit pas. A un moment donné, il faut
agir. Si les sans-papiers ont fait avancer leur cause, si les sans-logis ont
fait avancer leur cause, et si les chômeurs ont fait avancer leur cause,
c'est parce qu'à un moment donné, ils vont dans la rue, ils se
battent, ils font chier, ils se font entendre, et ça c'est
incontournable. Ça reste par l'action, par l'acte, et si possible en
collectif, qu'on lutte.
Pour finir, je voudrais parler du problème du
consensus. Aujourd'hui le consensus c'est quoi ? Que l'on soit de gauche ou
de droite, c'est respecter les critères de Maastricht, juguler
l'inflation, respecter ce qu'on appelle les
fondamentaux de l'économie. Et on nous dit aujourd'hui, la
croissance repart, l'emploi repart... mais tout ça c'est du pipeau !
On le sait ! Le problème aujourd'hui, c'est qu'il faut mener la
bataille sur les deux fronts. Quand tu disais tout à l'heure que tu ne
voulais pas t'intégrer, c'est faux, car tu es de fait dans la société.
L'exclu, ça n'existe pas. C'est un terme qu'on a inventé,
qui est pratique, qui fait sens, mais ça n'existe pas. On n'est jamais
complètement exclu d'une société, même si on est SDF
sous un pont. Ce n'est pas vrai. Nous, ce qu'on dit, c'est qu'on assiste à
un phénomène de relégation sociale. Effectivement il y a
des choix politiques qui sont faits, en amont de l'économie. Bien évidemment
c'est d'abord un problème politique ! Qui renvoie à une
conception de la société, à une philosophie, à une éthique,
à tout ce que l'on veut. La relégation sociale, ça veut
dire qu'effectivement, il y a un consensus global - gauche-droite pour aller
vite - pour considérer qu'il y a une partie de la population qui sera reléguée
à la marge de la société, sans boulot, sans emploi. A un
moment donné, il faut prendre en compte ce que je disais tout à
l'heure : les associations caritatives ne sont pas la solution. Il faut se
poser le problème et revendiquer : oui, il est légitime de
revendiquer un emploi pour tous, un emploi qualifiant, un emploi intéressant,
un emploi qui permette de vivre ! Mais il est tout autant légitime de
demander en même temps des ressources pour ceux qui n'ont pas d'emploi.
Nous on dit qu'il faut faire les deux. Ça paraît peut-être
utopique, mais c'est fondamental. Il faut donner des ressources aux jeunes de
moins de 25 ans qui n'ont pas les moyens de vivre, mais il faut aussi leur
trouver du boulot.
Pour conclure, nos associations ont été reçues
par les sénateurs communistes et par le cabinet d'Aubry, et lorsqu'on
leur dit qu'il y a peut-être 600 à 700 000 jeunes de moins de
25 ans qui sont à la rue, qui n'ont pas le droit au RMI ni au chômage,
on nous a répondu " nous, on ne veut pas faire
d'assistanat, nous, ce qu'on veut, c'est intégrer les jeunes ".
Sur le fond, on ne peut être que d'accord. Ils essaient de nous faire
passer pour des cons, pour des rétrogrades, pour des caritatifs, pour des
gens qui veulent maintenir les jeunes dans l'assistanat. C'est trop facile !
Parce qu'à ce compte, nous on est d'accord : c'est du boulot qu'il
faut pour les jeunes, pas de l'assistanat. Mais alors concrètement, qu'on
leur donne du boulot ! Or, nous on dit aujourd'hui, ce ne sont pas les
emplois jeunes qui constituent la réponse. Aujourd'hui, on n'est pas dans
un processus politique qui, en quelques années, va donner du travail à
tous les jeunes. Ce n'est pas vrai, on n'y croit pas.
Je conclurais en disant qu'il faut mener la critique du
travail, ce qui est le rôle du mouvement ouvrier et des syndicats depuis
un siècle et demi : faire en sorte que le travail se désalienne,
qu'on travaille moins, dans de meilleures conditions. C'est une lutte vieille
comme le mouvement ouvrier. Mais parallèlement, il faut se battre aussi
pour ceux qui ne sont pas dans la sphère du travail, ne pas les enfermer
dans une problématique d'assistanat ou de prise en charge par les
caritatifs, mais de leur dire il faut vous battre.
Alain Lebaube : C'est
vrai que le mot exclu n'est pas satisfaisant. Je note simplement que ce
qui est intéressant, c'est que dans les débats européens,
ou quand il s'agit de traduire un protocole au niveau de l'union européenne,
les français parlent d'exclusion, et les britanniques refusent
l'utilisation du mot exclusion, parce que dire qu'il y a exclusion serait
reconnaître le type de situation dans laquelle on se trouve ! Les
Anglo-Saxons sont dans une situation encore plus hypocrite que la nôtre :
ils refusent de parler d'exclusion. Donc de ce point de vue-là, on est
peut-être dans une situation plus favorable, car elle permet une prise de
conscience, y compris derrière l'usage de ce mot confus...
L'autre chose que je voudrais dire touche le plein emploi.
Clairement, je crois que le plein emploi ne reviendra pas, ou pas dans les définitions
telles qu'on les connais aujourd'hui. Quand on dit que les politiques ne sont
pas capables d'exprimer ce qui se passe aujourd'hui, c'est que ça passe
d'abord par un aveu qui est de dire que le plein emploi ne peut plus exister !
Et d'une certaine façon, la loi contre l'exclusion qui a été
présentée hier, est tout à fait intéressante de ce
point de vue là : il y a des mesures prises, sur lesquelles je ne
vais pas revenir, mais ce qui est plus intéressant, car il y a une démarche
très chrétienne derrière tout cela, c'est comment Aubry,
Jospin - mais ça va jusqu'à Madelin - disent : " notre
priorité, c'est l'accès à l'emploi. On n'est pas dans
l'assistanat, on est dans le retour à l'emploi ". Et si l'emploi
il n'y en a pas autant qu'il serait nécessaire, on continue quand même
à dire emploi comme une sorte d'incantation. Et on dit emploi,
parce qu'on veut dire monde du travail, intégration dans le
salariat tel qu'il a toujours existé. Tant est si bien que de proche en
proche, on arrive à ce qu'a dit Madelin hier soir : " l'objectif,
c'est le retour dans un vrai emploi, dans une vraie entreprise ".
Et c'est là où est le problème. Le
vrai emploi dans une vraie entreprise, c'est comme un entonnoir, il n'y
en a pas assez ! On ne peux plus raisonner de cette façon-là.
On est obligé d'imaginer d'autres emplois, d'autres activités qui
ne sont pas forcément dans les entreprises, et ne pas attendre trop de
l'entreprise.
Derrière tout ça, c'est notre rôle de
citoyen, notre rôle d'acteur, de redéfinir, de trouver de l'emploi,
de redéfinir et de reconstruire la solidarité et la cohésion
sociale. Puisque tout le reste a échoué, c'est à nous que
cela revient. On a un vrai rôle démocratique à jouer.
Patrice Spadoni : Je me suis
contenu dans la position du modérateur, mais je voudrais ajouter un mot
tout de même, car je suis également militant à Agir ensemble
contre le chômage. Pour reprendre une expression que j'ai relevée
dans ce qui vient d'être dit, ne soyons pas seulement des
citoyens spectateurs, mais également des citoyens acteurs.
Je rappelle qu'il y a une manifestation samedi prochain à 14h00, qui part
de le Gare du Nord. Je crois que la preuve a été faite encore récemment,
que c'est le soulèvement d'un mouvement social qui seul peut être
capable de desserrer l'étau, et de faire la démonstration que ce
qui est soit-disant impossible ne l'est pas et que le champ du possible ne
demande qu'à s'ouvrir. Des gens commencent à agir ensemble !
Je crois que c'est ça que nous pourrions dire en conclusion.
Il se développe, sans que cela soit une réponse
suffisante, et en courant avec beaucoup de retard derrière cette
mondialisation de l'éconmie, les prémices d'une mondialisation des
luttes sociales. C'est un phénomène nouveau qui est apparu à
travers des luttes de salariés comme celles de Renault Vilvoord
(qui a été riche de promesses, mais qui s'est tout de même
soldée par un échec). Je pense également aux marches européennes
contre le chômage, la précarité et les exclusions, où
se sont retrouvées toutes les associations dont Pierre Contessenne a parlé
tout à l'heure, et qui, pendant deux mois, ont organisé
manifestations, marches, actions, dans le but de dire aux hommes politiques qui
se sont réunis pour la signature du traité d'Amsterdam, qu'une
autre voie est possible : celle-ci ne se construira qu'à travers l'effort
direct, l'action des citoyens eux-mêmes, et non pas uniquement dans
l'attente de ce que des économistes providentiels ou des hommes
politiques providentiels pourraient apporter.
1) directrice de la Maison Populaire, et à ce titre lun des principaux partenaires des rencontres. Cet échange de vue illustre bien lécart entre certaines volontés et notre capacité collective den faire des acquis de société : la gratuité dentrée pour les chômeurs dans les cinémas ou dans les autres lieux de culture, reste un problème poli-tique que plusieurs associations ont commencé à poser à lensemble de la société (de lautre côté).
2) journée nationale de manifestation contre les exclusions