Samedi 20 mai 2000


L'ICONOCLASME, DES ORIGINES À NOS JOURS : RETOUR SUR LES CASSEURS D'IMAGES


17 h : C125 , de Matthieu Kavyrchine (photo, chorégraphie et vidéo)

17 h 30 : Montages et détournements d'images présentés/commentés par Alain Montesse (universitaire) et Vincent Glenn (réalisateur), avec des extraits d'un entretien filmé avec Marie-Josée Mondzain (philosophe, directeur de recherche au CNRS ; travaille depuis 1975 sur les doctrines de l'image, de l'icône et sur l'ensemble des productions visuelles ; auteur en particulier de Image, icône, économie : les sources byzantines de l'imaginaire contemporain).

Débat : De querelles en rebellions, de l'adoration à la fascination, l'idée d'un pouvoir émancipatoire des images a-t-elle un sens ? De Byzance à l'invention des ordinateurs, ne peut-on pas voir que l'iconoclasme, loin d'être un épisode singulier de l'histoire du spectacle, isolé et incompréhensible, manifeste une tendance traversant les âges et toujours présente de nos jours ?

Si l'on a souvent entendu parler de querelles byzantines, on a moins entendu parler de la Querelle des Images, connue aussi sous le nom de crise iconoclaste. En fait de querelle, ce fut une véritable guerre civile qui secoua Byzance du début du 8ème siècle jusque vers le milieu du 9ème. Pendant près d'un siècle et demi, on combattit énergiquement, pour ou contre l'adoration des images. Car si Dieu s'est incarné, il est devenu visible : on peut donc le représenter. Mais jusqu'à quel point ? Le risque est grand d'adorer la représentation plutôt que l'original. Les iconoclastes (1) (littéralement : les "briseurs d'images") détruisaient effectivement les icônes, en lesquelles ils ne voyaient que des idoles. Ils furent finalement battus, et dans le processus de sortie de crise, on se mit d'accord sur le concept d'économie. Qu'est-ce que l'économie dans ce contexte ? Conformément à la doctrine de l'incarnation, c'est la réalisation du plan divin par la gestion du visible - et l'église chrétienne prouva sa maestria en ce domaine au cours des siècles. Enlevons le plan divin, que reste-t-il ? L'économie des images en folie... c'est à dire le spectacle. Peut-on dès lors dire que les situationnistes s'inscrivent dans la tradition iconoclaste, remontant loin dans la civilisation et les religions européennes ? Dans cette perspective, la crise iconoclaste n'est pas un épisode singulier de l'histoire des images, isolé et incompréhensible, mais la manifestation d'une tendance toujours présente de nos jours. Il y a là pour le moins matière à réflexion.

     

(1) Iconoclastes : n.m.pl. Chrétiens byzantins (VIIIe-IXe s) opposés à toute représentation figurée, jugée idolâtrique, du Christ, de la Vierge, des saints. La crise iconoclaste ou querelle des images connut deux phases : 726-787 et 815-843. La première débuta avec l'adhésion officielle (726) de Léon III l'Isaurien à l'iconoclasme et son édit de persécution (730) : déposition du patriarche Germain, exils, mises à mort; elle culmina sous Constantin V Copronyme ("synode acéphale") et ne s'éteignit qu'avec l'impératrice Irène (synode de 766) et le second concile de Nicée (787) qui déclara les iconoclastes hérétiques. La crise reprit en 815 (concile de Sainte Sophie) avec les empereurs Léon V et Théophile ; un synode y mit fin (Constantinople, 843). Les iconoclastes furent surtout les empereurs, l'épiscopat byzantin, l'armée ; leurs adversaires (iconodules ou iconolâtres), surtout les moines, saint Jean Damascène, saint Théodore le Studite, la papauté (v. Grégoire II, Grégoire III, Paul Ier, Etienne III, Adrien Ier).

[Petit Robert]     



Dimanche 21 mai


DU SPECTACLE AU CYBERESPACE


16 h : Projection de " eXistenZ ", de David Cronenberg

Conférence/Débat : Relecture de l'expression "société du spectacle". Tour d'horizon des stratégies industrielles qui ont accompagné l'émergence de l'internet. Le projet d'un "internet citoyen" a-t-il encore un sens, et quels sont ses moyens d'existence ?

Avec la participation (sous réserve) de Henri-Pierre Jeudy (sociologue au CNRS), Valentin Lacambre (responsable du serveur altern), Yvonne Mignot-Lefebvre (sociologue au CNRS) et Michel Lefebvre (ingénieur), Alain Montesse (universitaire) et Vincent Glenn (réalisateur).

Tout le monde a maintenant entendu parler de l'internet.

L'inventeur du terme "cyberespace", William Gibson, le définit dès 1984 dans le roman de science-fiction Neuromancien comme "une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans tous les pays... Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain". Depuis plusieurs années, différents films (Johnny Mnemonic, The ghost in the machine, Level Five, eXistenZ, Matrix ...) découlent directement de l'univers de Neuromancien - "la matrice" y était d'ailleurs déjà synonyme de "cyberspace".

Mais l'internet va-t-il fatalement se développer en un cyberespace mondial unifié (il en est tout de même encore loin) ? Le cyberespace est-il le rêve d'une forme de spectacle total encore plus développée ?

Par certains côtés, oui, par d'autres non. C'est en tout cas à coup sûr un terrain d'affrontement. "Le cyberespace est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale...C'est tout le travail vendu d'une société qui devient globalement la marchandise totale dont le cycle doit se poursuivre" (thèse 42 de La Société du Spectacle, de Guy Debord).

Allons-nous vers un monde d'illusions assistées par ordinateurs? "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de programmes. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une programmation" (thèse 1 de La Société du Spectacle ; la phrase originale vient directement de Marx, c'est la première phrase du Capital). En voici quelques autres :

- thèse 4 : "Le cyberespacen'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images (= des icônes dynamiques)".

- thèse 6 : "Le cyberespace, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n'est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée.. Il est le coeur de l'irréalisme de la société réelle... Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire..."

- thèses 57 et 39 : "La société porteuse du cyberespace ne domine pas seulement par son hégémonie économique les régions sous-développées. Elle les domine en tant que société du cyberespace.... ceci n'est encore vrai localement que sur quelques points, mais déjà vrai à l'échelle universelle qui est la référence originelle de la marchandise, référence que son mouvement pratique, rassemblant la Terre comme marché mondial, a vérifié."

Le jeu peut continuer, il est facile. Mieux vaut chercher les endroits où ça ne marche pas, ou moins bien. En particulier tout le côté polycentrique, indéfiniment (?) extensible, du cyberespace - qui concrétise cette propriété divine, d'avoir son centre partout et sa circonférence nulle part. On ne peut lui imposer un centre de contrôle - très exactement un cybercentre - sans en annuler immédiatement les bénéfices escomptés. Et jusqu'à présent, il semble assez incompatible avec les régimes centralisés. Si certains noeuds de communication sont plus importants que d'autres, et certains acteurs plus potentats que d'autres, aucun n'est indispensable, et ne peut devenir hégémonique sans compromettre l'ensemble du système. L'internet ne sera-t-il finalement que l'instrument de la mondialisation ? Les hackers, les "pirates" sont-ils une variété particulière d'iconoclastes contemporains ? Les cybermarchands vont-ils l'emporter ? C'est le feuilleton des années qui viennent, et là aussi, il y a, pour le moins, matière à réflexions.